LA TERRE AU CARRÉ
Né il y a 44 ans dans l’un des joyaux de la côte bretonne, Maël Grenier a pris la direction du Carré, scène nationale et centre d’art contemporain d’intérêt national de Château-Gontier sur Mayenne, à l’occasion du lancement de la nouvelle saison. Issu du spectacle vivant et de l’entreprenariat culturel, il axe son projet autour de la famille et de notre modèle sociétal environnemental.
Parcours ?
Je suis originaire de la Presqu’île de Crozon dans le Finistère. Après un bac scientifique, je me suis rapidement orienté vers les arts. J’ai commencé mon activité professionnelle en tant qu’intermittent du spectacle et comédien, pendant une quinzaine d’années. L’expérience avançant, j’ai souhaité savoir ce qui se passait de l’autre côté. Je suis reparti sur les bancs de l’école où j’ai obtenu une licence pro de management et d’administration des entreprises culturelles. A partir de 2008, mon parcours a complètement changé. Quand on est artiste, on vit dans une forme de choix que l’on se fait de la société et de la façon de vivre, ce qui peut être une limite malgré soi. On est dans une bulle, on se met parfois à distance d’un modèle avec lequel on n’est pas toujours en accord, qu’on a envie d’écrire autrement, avec poésie et revendication. Cette contrainte m’a énormément ouvert l’esprit. Pour des raisons personnelles et familiales, je suis parti sur l’île de la Réunion. J’étais administrateur pour une compagnie qui gérait à l’époque un festival international de marionnettes et de théâtre d’objet. La chance a fait que le centre dramatique de l’océan Indien, qui est le seul centre dramatique d’outre-mer parmi les 38 que compte la France, est venu me chercher. J’ai exercé en tant qu’administrateur puis directeur-adjoint pendant 5 ans. J’ai ensuite souhaité revenir en métropole où j’ai rejoint la maison de la culture de Nevers Agglomération qui est aujourd’hui une scène conventionnée d’intérêt national, labellisée «Art en territoire». J’ai eu envie de m’émanciper d’un point de vue de direction artistique, raison pour laquelle j’ai postulé au Carré.
Éducation populaire ?
Dans la culture citadine, il y a des éléments qu’on peut qualifier d’élitistes. Certaines niches de créateurs sont difficiles d’accès parce qu’il faut parfois plusieurs paliers pour pouvoir adhérer à des actes artistiques assez forts. Les scènes de territoire sont des scènes généralistes, pluridisciplinaires, ouvertes à toutes les propositions. Elles sont des lieux ressources où chacun doit pouvoir y nourrir son esprit. Je suis très sensible au fait que la structure culturelle dans son bassin d’implantation rayonne d’abord par et pour ceux qui y vivent. Les équilibres de demain se feront ailleurs que dans les hypercentres. La qualité de vie, le rapport au temps et la sociabilisation sont des très bonnes bases en milieu rural. Je ne connaissais rien de la Mayenne. Quand je suis venu en famille voir si nous pouvions nous y projeter, nous avons trouvé la ville tout à fait exemplaire. La taille, l’agencement, l’histoire, la rivière, la proximité avec d’autres pôles tels que le Mans, Rennes, Nantes… nous ont séduits.
Projet ?
Il y a deux axes : la famille et l’environnement. Lors de la prochaine saison, au mois d’octobre, le jeune public aura son temps fort. C’est une porte d’entrée intéressante parce que la programmation à destination des familles est accessible, que l’offre artistique est foisonnante et qualitative depuis une dizaine d’années, et surtout que c’est souvent un premier contact pour des rencontres qui peuvent changer des vies quand on est enfant ou adolescent. A la fin du mois de mars 2022, il y aura un 2e temps fort orienté sur une réflexion sociétale avec une teinture assez forte sur l’écologie, l’environnement et l’humain. Comment peut-on repenser nos façons de vivre ensemble, nos façons de travailler et de nous projeter pour construire un monde plus vivable ? Je nourris ce projet depuis longtemps, parce qu’il réunit des aspirations profondes. Il trouve évidemment toute sa résonance dans la période que nous vivons. Quel avenir souhaitons-nous pour nos enfants ? Ce temps citoyen sera proposé chaque année sous le prisme artistique avec une carte blanche donnée à des compagnies.
Avenir ?
À titre personnel, j’aborde la crise avec le plus d’humilité possible. Très sincèrement, je n’aimerais pas être à la place du gouvernement. Face à la pandémie et à une crise totale du système, il ne faut pas juger ceux qui sont au pouvoir parce que la tâche est complexe : nous nous en rendons compte quotidiennement dans notre secteur. Nos repères nous échappent, ce qui nous inquiète collectivement. Nous sortons éprouvés d’une période de désillusions et nous attendons des gestes politiques forts. Il vaut mieux attendre pour faire une vraie belle fête plutôt que d’éteindre les bougies avant le dessert. Nous avons besoin de lumières intérieures.
Propos recueillis par Christophe Feuillet et publiés dans le magazine bimestriel janvier-février 2021.
Écoutez l’interview le vendredi 22 janvier à 19h et le samedi 23 janvier à 13h30
Sur 101.7 à Laval et 107.9 à Château-Gontier
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